Là, J’ai Pas Compris

J'ai Pas compris

De confinée à con-finie, là j’ai pas compris

Tous ensemble mais séparés. Intouchables, but in touch. On ne se voit plus. Mais on n’a jamais été autant en contact. Drôle de sensation. Irréelle. Le sens se perd. Tout s’embrouille dans ma tête. Souvent dans la vie d’avant déjà, je faisais mine de comprendre. J’ hochais la tête, j’acquiesçais. Déjà parfois je mentais. Je ne voyais pas du tout ce qu’on voulait me dire. Ou m’expliquer, en vrai. Les mots prononcés remontaient en purée bouillie jusqu’à mon cerveau. Certaines situations me laissaient perplexes. Instants de solitude où je ne comprenais rien.  Le confinement n’a rien arrangé. Là, j’ai pas compris. Et j’ai flippé.

Retour sur 15 jours des situations où je me suis retrouvée dans l’incompréhension totale.

Là, j’ai rien compris quand:

Je m’étais dit: «je posterai un truc tous les vendredi. Histoire d’être régulière. Et de pouvoir analyser des statistiques à la fin de ma formation». Mais depuis le confinement, c’est genre dundi, lardi, jercredi, sendredi.. Et hier soir, mon fils sur le palier…On était vendredi. J’ai pas compris.

Le 16 mars, lorsque Macron a martelé «C’est la guerre» . Et que mon fils m’a demandé si on allait redécouvrir la faim. Etre rationnés, manger des topinambours et des épluchures de patates. Ou si mon potager nous suffirait à survivre.

L’appli Houseparty, on en parle?

Le jour où ma mère m’a dit: «passe tout à la javel. Et désinfecte aussi ta bouteille de gel hydroalcoolique».

Lorsque j’ai croisé ma super pote au Monop. Qu’elle s’est figée. Et m’a dit: «Gaël, je suis tellement heureuse de te voir!». Les mains sur la bouche, visiblement très émue. Elle pleurait en me quittant. J’ai pas compris.

Quand je vois des couples qui s’approchent. S’enlacent et s’embrassent dans les films. Et que j’ai envie de les séparer, leur dire, «Stop!! Et les distances?? Et les gestes barrières?» JPC.

Sur Instagram les filles se lèvent à 9h tous les matins. Elles se lavent, se maquillent, s’habillent comme pour aller bosser. Poussent le vice à porter des talons. Nettoient et désinfectent leur maison de fond en comble. Font du tri dans les armoires. Et aussi les devoirs des petits. Aident les plus grands. Préparent des repas pour 6, tous plus dingues les uns que les autres. Enchaînent 3 cours de cardio training. Enfin, se prennent un bain. Terminent leur journée en lisant un livre. Tout en pensant à laisser poser des soins pour le corps. Sur le visage aussi  évidement. Ces wonders womans sont à jour sur toute la PQR, les hebdos et mensuels. Elles tiendront 48 jours comme ça. Parce-que pour elle c’est rien, comparé à quand elles bossent dehors.

Mes journées me rappellent le film préféré de mon père . Un matin j’ai eu la tête de Bill Murray.En reflet de mon miroir.

J’ai voulu revoir Monty Python’s The Meaning of Life. Les Monthy Python y comparent l’existence des hommes à celles de poissons dans un aquarium. Ou un vivier, sans possibilité de recul leur permettant de savoir où ils sont. A la scène finale, lorsque je me suis vue à la place du gros bonhomme qui explose en avalant une bouchée au chocolat après un repas pantagruélique. 

Sur M6 ils ont commencé à diffuser leurs films de Noël. D’ici la fin du confinement, on devrait arriver à la St Valentin. 

Le soir où j’ai surpris mon fils à fumer de l’herbe. Et qu’il m’a dit «co-weed 19. Cas de force majeure. T’en veux?». Quand il m’a tendu son joint avec un clin d’œil démoniaque… Ça m’a fait plus flippé que la weed dans sa chambre. J’ai rien compris.

Si je dois faire mon footing dans un rayon de 1km. Sachant qu’au moins vite, je peux faire du 7km/heure. Et qu’il n’y a personne dans les rues de Vichy. Pourquoi ne pas aller plus loin?

Les midis où ton ex t’envoies ses photos de repas délicieux. Avec 4 invités en terrasse. Ou au bord de sa piscine. Sachant que toi, tu es seule en appartement.

Au lever, je continue à allumer BFM, pour m’informer. Ça me donne de la tachycardie. Donc j’éteins. Mais je recommence le lendemain… A subir les pronostics impossibles. Et les experts en plateau. JPC.

Il fait beau depuis 15 jours. Alors que mars est connu pour ses giboulée. Je comprends pas.

Lorsque je suis une influenceuse quelque peu pompeuse sur Instagram. Et qu’elle explique, en 11 phrases et vidéo, comment faire une «délicieuse salade. Quinoa, radis, fenouil, graines de courge, graines de tournesol, gomasio. Émulsion de réglisse.» Pour fêter l’arrivée du printemps. Toutes ces graines m’évoquent beaucoup de choses. Sauf une orgie.

Mon nouveau conseiller bancaire m’a appelée pour se présenter. M’expliquer pourquoi il est impératif que j’ouvre 3 comptes. Et une assurance vie. Pour être honnête, je me suis soumise à ses propositions. Mais je n’ai rien compris.

J’ai lu les chroniques du professeur Raoult dans le Point. Il y dit que la science est instrumentalisée. Et mise au profit du commerce. Il se désolidarise du gouvernement. Et lance, contre l’avis de la majorité du corps scientifique et médical une polémique autour de l’hydroxychloroquine. J’avoue, j’ai rien compris.

Je me dis que je vais en profiter pour regarder Game of Thrones. Et me fait violence pour aller au bout de l’épisode 1, Saison 1. Sans vous mentir. Rien compris à cette guerre de dragons hystériques, sur fond de sexe sanguinaire et incestueux. Pardon, mais je n’ai pas aimé. Et JPC.

Mon voisin, celui là même qui me disait de faire moins de bruit, me demande pourquoi je ne chante plus tous les matins. 

Toujours le même, se met au balcon de 20h à 22h tous les soirs. Et remixe du Mylène Farmer.

J’essaie d’écouter du Mylène Farmer. Chanteuse préférée de mon père. Je n’ai rien contre elle. Ses tenues sado maso, ses cheveux oranges. Et sa face sur-botoxée. Mais j’ai beau tendre l’oreille, le sens de ses paroles m’échappe. Mylène, avec tout mon respect et admiration de mon père. J’ai rien compris.

A la découverte d’un cheveu blanc. J’appelle en panique ma coiffeuse, qui me dit «t’inquiètes. Prends du blond foncé en 5». Alors que je suis brune. Elle ajoute, pour me rassurer. «Si c’est la cata et que ça vire au auburn, je ferai une patine. Après le confinement. De toute façon c’est pas grave. Tu ne vois personne.» Ben si moi, dans le miroir… Et j’aime bien mes reflets auburn.

Ma collègue m’explique Excell pour la centième fois. Elle prend son temps, son énergie. Met dans ses explications un soupçon de patience. Et d’investissement. Pourtant …

Ils passent La Soupe Aux Choux. Et tous les films grand public nuls. Qui sont déjà passés 1 milliard de fois. On touche le fond, pour que les gens restent devant leur télé.

Mon fils m’a inscrite en douce sur toutes les applis méditation, sophrologie, yoga. En pleine conscience, je suis la zénitude incarnée.

J’ai pris ma calculette noire au lieu de ma souris noire. Et j’ai pas réussi à cliquer droit. J’ai pas compris.

Gaspard en cours d’anglais dans le salon m’a demandé comment on disait casserole. J’ai pas su répondre. Pourtant, je lis Shakespeare dans le texte. J’ai rien compris.

J’ai voulu me mettre au balcon à 20h. Pour applaudir comme un mouton. Il n’y avait personne aux fenêtres.

Au onzième jour de confinement. Mon fils m’a dit qu’il avait tout mangé. Le kilo de Trésor, le pot de Nutella. Et les 12 paquets de biscuits, qui devaient faire une quarantaine de semaines.

Le mec de l’informatique m’a expliqué: «Comment me connecter sous MS pour améliorer mes proxys». Pour accélérer ce moment soporifique. Et surtout pour qu’il règle le problème au plus vite. J’ai menti. J’ai feins l’intérêt et la compréhension. Mais en fait, j’ai rien compris.

Mon fils s’est mis à travailler dans ma chambre. Et moi dans la sienne. J’ai pas compris.

Mon employeur m’a annoncé que je devais prendre ces 15 jours de confinement sur mes vacances. Et que j’en aurai pas cet été. Alors que je bosse 60h par semaine en télétravail. J’ai pas compris.

Je suis émue aux larmes en apprenant le décès d’une jeune fille de l’âge de mon fils. Alors que des jeunes meurent tous les jours. JPC.

Je demande à mon fils de ranger sa chambre, aérer. Sortir un peu. Il me réponds:«Dans restez chez vous, c’est quoi que tu comprends pas? De toute façon, j’ai pas le temps».

Blanche Gardin sombre dans la facilité vulgaire et écrit «Nique Ta Mère sur son attestation de sortie.»

J’ai vu qu’il manquait un prof sur 2 pour les cours sur Discord.

Sur les stories les gens postent leur vie. J’ai pas compris.

Les plus poétiques postent tous les jours la même vue: Le cerisier qui fleurit, lentement mais sûrement. Pendant 48 jours, vraiment?

La balance a affiché plus 2 kgs. Alors que je suis inscrite à toutes les applis de sport. Et que je ne mange pas plus de 5 sucreries par jour.

J’ai commencé à tout manger avec des baguettes. Je m’y refuse depuis 48 ans. Par solidarité aux chinois. Parce qu’ils ne sont pas responsables de leurs goûts alimentaires. Ni de la merde dans laquelle ils ont plongé le monde entier. Et parce que la prochaine pandémie pourrait tout aussi bien venir des cuisses de grenouilles. Ou des escargots. Et que les petits pois à la baguette, c’est une bonne idée. Pour manger moins vite. Et moins. JPC.

Je fais 3 gâteaux par jour. Alors que je n’ai pas allumé un four depuis 1999. 

Sa belle mère demande à mon fils de me piquer des pâtes. Avant le confinement, elle était intolérante au gluten. JPC.

La pharmacienne m’a expliqué comment prendre les médicaments prescrits sur mon ordonnance. «Celui ci se prend avant le repas. L’autre vous le prenez au réveil impérativement. Mais après avoir mangé. Et celui là, vous en reprenez un second. Si pas d’effet au bout de 3 heures. Tout est clair? Oui … Mais non, J’ai pas compris.

Un soir, on voyait bien toutes les étoiles. Mon fils a voulu m’expliquer où regarder précisément dans le ciel pour repérer la Grande Ourse:

«Mais siiii ! On dirait une casserole.!». J’ai simulé. Car en réalité, depuis 45 ans je ne vois rien. Ni casserole, ni ours, ni étoile filante. J’y comprends rien.

Ma copine me raconte, de ses WC, ses problèmes de couple. Elle parle bas parce qu’elle «a peur qu’il écoute». ça coupe: «Dans les chiottes, la connexion est mauvaise.» Je n’entends que 9 mots sur 1h15 de monologue: «Confinés»,«insupportable»… «Dégueulasse», «fouillé» «poches» «salope»… «Secrétaire»,«bombasse». Et « ciboulette ». Oui, ce mot je ne l’explique pas.  J’ai pas demandé qu’elle répète ou rappelle. J’ai fait mine de comprendre.De la soutenir. Et au travers de quelques mmm, oui, je vois, tu as raison. En faisant celle qui l’entendait distinctement. Ben, j’ai rien compris.

Mon amie me rappelle le lendemain pour faire un point. Elle pleure. Et tente de m’expliquer pourquoi elle pleure. Mais quand elle pleure, elle renifle. Je la fais répéter, ça la frustre. La fait pleurer encore plus. Ce qui, finalement, perturbe encore plus ma compréhension. Je fais alors mine de comprendre pour qu’elle arrête de pleurer.

J’ai essayé de comprendre le fonctionnement des points au tennis. J’ai jamais rien compris.

Un mec Tinder m’explique le principe de son travail. En finance/conseil/audit: «Ah oui, ça doit être passionnant … Mince, ça coupe. On se rappelle?»

Au douzième jour de confinement, sur les coups de 10h. J’ai envie d’une baguette fraîche. Et d’un croissant. Je mets 15 mn à être en règle: Télécharger la nouvelle attestation. Trouver du papier pas à carreaux d’écolier. Recharger l’imprimante, parce que évidement y’a plus d’encre noire. Devant la boulangerie portes closes, je lis: «La boulangerie sera ouverte tous les MATINS de 7h à 19h». Là, j’ai rien compris.

Les dimanches soirs je continue à avoir le spleen. Alors que les journées n’ont plus de sens. J’ai pas compris.

J’entends éberluée aux infos de 20h que: « cette nuit nous perdons 1 heure ». Non vraiment, je trouve que les heures n’ont plus de sens.

Ma tante, qui n’est pas geek, m’envoie 50 vidéos, photos. Conseils, gifs, montages et autres posts drôles et cochons depuis le confinement. Je ne veux pas comprendre.

Incompréhension total. Ça vous parle? Et vous, vous avez compris?

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